LIBRES OU ASSUJETTIS

« le monde est pourri » selon certains…

Par Bernadette Guiard

 Expression lue et entendue ! Constat sans nuances, sentence brutale. La décomposition est-elle réelle ou apparente ? Chacun y va de son couplet sans avoir conscience que le monde est ce qu’on permet qu’il soit.

Entre laxisme et autoritarisme, les gens prennent position de façon manichéenne.

Or, les deux attitudes sont improductives. Cependant, force est de constater que des incivilités à la violence, une dégradation est à l’œuvre de manière insidieuse.

L’appauvrissement de la pensée se traduit dans le langage par des expressions, des raccourcis où les «  tout à fait », «  c’est compliqué  » « écétera  » sont comme des points de suspension laissant l’interlocuteur supposer la suite… qui ne vient pas.

Outre l’oral, l’écrit n’est pas sans surprendre: fautes d’orthographe à foison, argumentation simpliste, SMS énigmatiques où les « co » et les « tkp » sont censés vouloir dire « coucou » et « ne t’inquiète pas » marqueurs d’une ère de la facilité et de la paresse intellectuelle !

Ceci n’est que l’écume des vagues. Il y a plus grave quand les comportements génèrent des conflits qui se règlent à l’arme blanche.

Les médias nous abreuvent de faits divers (qui font diversion ?) concernant les ados friands des expositions bavardes sur les réseaux sociaux où fusent moqueries et insultes. Les égos hyper développés en regard des consciences hypertrophiées sur-réagissent. S’en suivent des règlements de compte saignants. La noirceur des hommes, qui plus est, est mise sur la place publique à travers une complaisance à revenir en boucle sur des actes pédophiles ou incestueux qui pervertissent les relations au point que l’on généralise en pensant que le monde entier n’est que vices et turpitudes. Ce déballage au grand jour a certes son utilité quand il s’agit de rendre justice aux victimes, mais la tentation est grande de surenchérir et d’entonner le chant général : « le monde est pourri » !

Je mets de côté mensonges et tricheries de ceux qui, grâce au pouvoir qu’on leur a octroyé, manipulent à tout va ! Vaste sujet dont nous portons une part des responsabilité quand les illusions et les peurs nous gouvernent.

Ainsi, Rousseau qui avait abandonné ses propres enfants déclarait : « L’homme est naturellement bon » 

J’observe notre société et s’en dégage, selon moi, différents groupes : les plaintifs-soumis, les colériques-rebelles, les peureux-fuyards, les affirmés qui se veulent debout et fuguent.

Nous devons bien le reconnaître, nous sommes peu ou prou, des assujettis, dépendants de sollicitations en tous genres attractives, dès lors qu’elles cultivent un plaisir immédiat pour : combler un vide existentiel ?

Une perte de sens ? Qui ne se laisse pas séduire par les sirènes de la modernité ?

Soyons honnêtes, nous sommes à des degrés divers « accrocs  »  à toutes formes d’objets utiles ou futiles que nous consommons sans modération , créant de sérieux déséquilibres intérieurs.

Il est des personnes qui ont un sursaut qu’elles pensent salvateur en allant manifester « contre » (rarement pour une cause éloignée du Dieu-Argent)

Dans ma jeunesse, j’ai manifesté et scandé le fameux « Tous ensemble » avec ferveur. Pour quel résultat ? Faire reculer le pouvoir par rapport à des décisions injustes et obtenir «  des miettes  » destinées à calmer le jeu.

Le «  Français moyen «, par définition râleur, procède par petits arrangements et ne se donne pas les moyens de ses ambitions.

Il y a ceux qui ont installé forces alarmes, se calfeutrant dans des résidences fermées ou habitant des lieux réservés aux gens bien élevés, riches, de préférence, où les seniors vivent entre eux, satisfaits d’eux mêmes. Recherche d’un paradis qui n’existe pas, même s’il en a les couleurs, ici ou ailleurs.

Documentaires à l’appui, nous voyons des couples quarantenaires, dynamiques qui ont fait le choix d’aller vivre ailleurs, sous un soleil permanent de préférence, pour une vie les pieds dans l’eau, loin de l’asservissement qui était le leur ( horaires, circulation, pénibilité, stress, compétitivité, non reconnaissance).

Devenir son propre patron dans les tropiques ou sur le Larzac, c’est vouloir échapper à des contraintes imposées.

Sort enviable ? À voir ! Choix courageux quand il s’agit de devenir berger ou boulanger après avoir été ingénieur ou informaticien. Les « fugueurs »  affichent un sourire bienheureux, sans regrets pour leur vie passée et versent dans un artisanat de bon aloi, tournant le dos «  au monde pourri ».

Plaintifs, coléreux, fuyards, fugueurs, rien de péjoratif, sachant combien d’entre nous, selon les circonstances, peuvent traverser de manière épisodique des états différents qu ne signent pas une identité définitive. Viennent aussi, depuis le premier confinement, sur le devant de la scène, les créatifs joyeux qui font de la situation un levier humoristique, artistique ou solidaire. Chansons, musique au balcon, productions comestibles à partager, séances de gym… Chacun à donné libre cours à son talent spécifique, tel un lien tangible.

J’allais oublier un groupe dont je fais partie : celui des «  rêveurs-éveillés ».

Je suis de ceux qui pensent comme Sylvain Tesson qu’il suffit d’ouvrir la fenêtre pour se laisser gagner par la beauté d la nature. J’ai ouvert ma fenêtre et j’ai été saisie par la profusion offerte. Mon olivier, mon cerisier, mon érable me parlaient. Je me suis sentie accueillie, protégée, chanceuse.

Puis, j’ai franchi les limites de mon jardin, accompagnée par le rire des merles et j’ai vu mes voisins :

– Qui, occupé à rénover sa maison, m’offrait ses conseils.

– Qui, faisait faire à pas comptés une promenade à une dame âgée.

– Qui, me parlait avec enthousiasme de son projet éducatif novateur.

– Qui, en tenue d’apiculteur m’offrait un pot de miel de ses abeilles.

– Qui, dans la recherche se consacrait à tester de nouvelles hypothèses, en vue d’améliorer la santé des gens.

– Qui, dédicaçait un recueil de poésie réalisé pendant le confinement.

 » Nos cœurs s’agrandissent au gré de nos rencontres » 

Bâtir, prendre soin, rendre service, offrir, communiquer, partager… La bonté, selon François Cheng, est de toutes parts tangible.

J’ai côtoyé des co-créateurs attentifs inscrits dans la vie quotidienne sans masques ni paillettes, juste vrais. Ils ne font pas la une des journaux, ce ne sont pas des héros, ils sont à leur juste place inter-agissant avec intelligence et simplicité.

Je suis revenue chez moi stimulée, rassurée et confiante retrouver mes auteurs préférés : Philippe Delerm, Christian Bobin, François Cheng et je suis partie en quête de la panthère des neiges avec la certitude de l’apercevoir, ne serait-ce qu’en imagination.

J’ai voulu regarder les actualités, autre fenêtre sur le monde : j’ai vu les ruines de Palmyre,les bombes au dessus de Gaza, la forêt amazonienne saccagée, les volcans en activité, les migrants se noyer, la banquise se disloquer…

J’ai vu le peuple nomade du pays Afar, les Seychelles et leurs fonds marins riches de coraux et de poissons-clown, j’ai vu le Taj Mahal, Santorin, des hommes en Afrique occupés à sauver des espèces en voie d’extinction.

J’ai vu des bâtisseurs, des concertistes, des pompiers juguler des incendies de forêt, des soignants volontaires et exténués …

j’ai fermé les yeux, résolue à me concentrer sur cette faculté des hommes à transformer, à construire, à sauver, à embellir la vie sous toutes ses formes.

J’ai écouté « la méditation de Thaïs » interprétée par le violon virtuose de Renaud Capuçon et j’ai dédié la musique à tous ceux qui doutent. Une fois le silence revenu, j’ai entendu ma petite voix murmurer : «  Que rien, jamais, ne te désespère ! »

Puis, je suis allée marcher. Randonnée en forêt. Le soleil joue sur la dentelle des hautes fougères. Deux biches craintives jaillissent des taillis. Vie secrète loin des tourments des passants que nous sommes, arrogants et perdants. Écouter le silence. Sentir la sève ascendante. Au détour d’un sentier découvrir un lactel, un diamant et soudain se sentir riche, immensément.

Bernadette GUIARD

Les 3 Grâces revues par Jean Cigu
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