Imaginé par Jean CIGU



Je soussigné, Charles Baudelaire, sain de corps et surtout d’esprit,
De tous mes biens et objets d’art fais donation par devant notaire,
En les formes ci-dessous consignées de manière légale et assumée :
Je lègue toute ma fortune à ceux qui n’en ont pas,
Je donne à Mallarmé ma pipe de collection
Nommée « pipe d’un auteur »,
Je lègue à Valéry un peu d’affect et d’émotion
Pour donner à ses vers de bonnes vibrations
A mon fils préféré Rimbaud le Magnifique
Je lègue mon bateau ivre et la houle sans fin
Porteuse de l’ivresse des grands fonds et des espaces sans bornes, effet mer de toutes les dérives.
A lui je donne mes vaisseaux du grand large et le capitanat
Que ce testament soit un nouveau départ
Pour une future alliance pour ne pas regretter de l’Europe les anciens parapets
Je lui donne les futures saisons sans enfer et l’arsenal complet
Des images nouvelles, le maelström des métaphores les plus neuves,
Le trésor des symboles et des musiques inouïes
Les couleurs les plus folles alliées aux sons les plus neufs
La grande déflagration des images musiques couleurs inouïes
Surtout la nouvelle formule et les lieux du nouvel amour
Toujours à réinventer la femme ayant brisé ses chaines
Je lui laisse le vaisseau pour le grand large
Et la liberté absolue sans ordres ni amarres


À Verlaine je lègue la force qu’il n’a pas
La profondeur des mers et mes fioles d’absinthe
Je donne mes drogues douces et dures à ceux que j’aime
Qui ont du mal à supporter la vie
Je donne mes amours jaunes à Corbière
Et le vin nouveau de grappes d’amour à Germain
Je livre Maldoror aux grands vents et marées océanes
Je lui donne les quarantièmes rugissants et toute la géométrie des immensités bleues,
A Ferré je lègue montée sur ses grands chevaux
Une partie de ma mémoire en allée sur la mer
Quelques alexandrins et mes poèmes en prose
Avec des albatros escortant les vaisseaux
Quelques oiseaux planant sur les gouffres amers
A Eluard ma science de l’amour et mes passions défuntes
La voix déchirante des amours contrariées
A Breton l’union libre et l’esprit délivré de ses entraves
Aragon recevra un nouveau passeport au retour de Russie
Ira chercher Elsa sur les monts de l’Oural
A Cendrars les grand voyages et le transsibérien
A Lorca les Pacques à New York
A Machado un guide pour le passage du Perthus
A Néruda la musique du Chant Général
Je lègue à Pessoa la galerie des glaces
et de ses multiples miroirs à fragmentation
Je lègue à tous les objets que je n’ai pas
Le flux des grandes vagues et les ailes du vent
A tous les sans voix
Je donne la Voie Lactée et les lointaines galaxies
Les mondes sans fin dont rêvait Bruno
La musique des sphères quant elles font silence
Les espaces sans fin et les mondes sans confins
Je vous lègue mes frères mes sœurs le cadeau en esprit
Que Platon, les gnostiques m’ont donné:
le pneuma plus léger que l’aile de l’ange
Le souffle de l’esprit immatériel sans valeur marchande
Je lègue à ceux qui la recherchent la beauté éternelle,
Symbole de vraie vie porteuse du futur
Je lègue le secret de la transmutation de l’or
à ceux qui cherchent le grand arcane de la vie
Je lègue les canons éternels de Beauté
Donnant nouvelle vie aux antiques statues
Qu’on pourra contempler aux carrefours des rues
Déesse convulsive sulfureuse et parfois vénéneuse
La beauté aura des parfums capiteux
Elle sera presque toujours scandaleuse
Scandale sans qui la vie n’adviendrait pas
A tous les poètes A tous les amoureux
Je lègue les parfums de la nuit
Les fragrances d’alcôve
Et les vins capiteux pour colmater le vide
Qui étreint les amants en proie au désespoir
Les poètes d’un soir devant leur page blanche
A tous je livre les parfums et le charme désuet
Des beautés trop fanées
Les souvenirs parfumés restés dans les tiroirs
Les amours défuntes pour se ressouvenir
Les relents d’amours vieilles que l’on dit surannées
Les plus vertes années
Les flacons des parfums de passions en déclin
La mémoire endormie restant dans l’ombre des alcôves
Je donne aussi sous les joyeuses charmilles
Les rencontres galantes de nubiles jeunes filles
Les jeux d’enfants dans les jardins en fleurs
Jouant au jeu de la marelle et des mains chaudes
Sous le cycle des jets d’eau tournoyant dans les jardins du soir

Le parfum de l’amour dans l’hermétisme des bouteilles
La fraicheur des étreintes dans la houle des blés
Le souvenir de ceux que nous avons aimés
Le cri immense de la vie qui ne veut pas mourir
La déesse beauté sur les places publiques
Face aux foules groupées d’amoureux convulsifs
Mais plus libres encore que ces infinités bleues
Je vous lègue surtout mouvances sans fin les nuées de nuages
Les merveilleux nuages là bas qui jouent avec les mers
Quand la mer et le ciel au couchant se confondent
Je vous lègue l’enfer et le paradis
Qui sont ce que les hommes font de cette terre
Selon leur choix de vivre ou non en parfaite harmonie
De Pythagore je vous lègue le cycle des planètes
Des astres qui tournent en ellipses dans le ciel
Le silence sans fin la musique des sphères
Je vous lègue l’avenir du futur
Et mettant fin à l’empire du pire
Mouvances sans limites les nuées de nuages
Errances sans fin sans racines ni attaches
Les nuages nomades sans terre d’accueil
Les merveilleux nuages qui n’ont pas de patrie


Je vous lègue la promesse
Toujours renouvelée d’un monde du meilleur
J’appelle sur vous le Chaos bénéfique de la destruction de Sodome et Gomorrhe
Des empires d’argent et de tous les veaux d’or
J’appelle sur vous les pluies bienfaisantes de l’Age d’or
Les pluies de fraternité et de l’humanité reconstruite
La destruction de toutes les idoles et fétiches inutiles
La mort de tous les dieux androphages et cannibales
J’appelle sur vous tous les nuées de bonheur et d’amour
La disparition des nuages de sauterelles du désert
Et des sept plaies d’Egypte
Le retour des nuages des merveilleux nuages
Dans le couchant quand ils se fondent avec la mer
À vous hommes mes frères maudits et hypocrites
Comme moi aux désirs si fragiles, aux vouloirs si débiles.
Je vous donne toutes mes fortunes
Pour que les futurs Rimbaud ignorent l’infortune de vivre
Leur saison en enfer et que tous les Mozart
N’aient plus de devenir dans la fosse commune.
Je vous lègue cette explosion d’étoiles et de galaxies
Qui est l’éternité vivante de l’amour à construire.
Jean CIGU






L’art des mots, l’art d’amour, des fleurs sans mal, merci Jean Cigu.