Mer de nuages sur l’Arbizon: De la contemplation émotionnelle vers des considérations métaphysiques

Laurent Vivès (médecin interniste-cancérologue) – Revu et finalisé le 02.11.2022

Le Pic de l’Arbizon, en avant de la chaine des Pyrénées centrales, est connu pour la beauté du panorama qu’il procure. Il est plus rare d’y voir une mer de nuages lécher ses flancs, avec des golfes, des iles, des criques, et même des vagues. Ce spectacle émouvant a suscité en nous des réflexions que nous livrons ici.

Fin Juillet 2022 nous sommes partis tôt le matin (avec Christian), à l’assaut du pic de l’Arbizon (2831 m.), par les granges de Lurgues, via Arreau, Guchen et Aulon. Le ciel était bas, très sombre et en buvant notre café à Sarrancolin, nous avons un peu hésité à faire demi tour. Mais l’envie fut plus forte et nous partîmes d’un bon pas, priant que les choses s’arrangent plus haut. En effet, après la « cheminée », le ciel s’éclaircit, laissant entrevoir les premiers sommets rocheux. 150 mètres plus haut, nous étions au dessus de la nappe de brouillard. Nous arrivâmes au sommet vers midi. La vue fut à tomber par terre : une mer de nuages incroyable, blanche, épaisse, avec des vagues ondulées, partait de Toulouse, pour venir « taper » contre la barrière Pyrénéenne. Vers le sud, nos Pyrénées, sous le soleil, de l’Ariège aux Pyrénées Atlantiques, avec l’Anéto, le Néouvielle, le Mont Perdu, le Marboré, le Balaitous, le Pic du Midi de Bigorre, entre autres. Plus de 190° de vision vers le Sud, et en dessous la mer blanche à perte de vue… Nous étions seuls face aux montagnes, le silence, 4 chèvres et 2 Vautours immenses.

Christian était subjugué. Venu très souvent ici, il n’y avait jamais vu un tel spectacle. Après nous êtres restaurés en silence, nous avons commencé à échanger : « que c’est beau – quel cadeau nous fait la nature – nous sommes privilégiés – en dessous des nuages, en bas derrière nous, il y a le monde agité, bruyant, pressé, inquiet… »

La descente fut silencieuse, nous retrouvâmes la grisaille du brouillard humide, mais elle ne suffit pas à nous enlever notre sentiment de plénitude et notre joie d’avoir pu savourer un tel moment.

Plus tard, seul en voiture, des pensées me vinrent. Je roulai lentement, pas pressé de retrouver la vie moderne, « humaine », avec ses camions, ses contraintes, sa technologie, ses infos, ses idées sombres, ses disputes, voire ses ressentiments.

Je n’ai pas mis la radio, même pas France Musique. Mon ressenti n’était pas triste, pas inquiet. Il y a eu d’abord la surprise, l’inédit, le calme, la beauté, puis l’harmonie, la paix, la sérénité, enfin la symbiose. Bref, tout ce que l’homme est censé rechercher ici bas. Ce fut bienfaisant, pas choquant, mais intriguant.

Comment la nature peut-elle nous procurer de telles visions, sensations et émotions? Ce fut comme devant une œuvre d’art : la Joconde, un Vermeer, un Picasso, de la grande musique, ou un poème de Rimbaud. Sauf qu’ici le tableau est apparu brut, vierge d’intention de séduire ou de plaire, contrairement aux créateurs qui veulent communiquer, partager. Une nature artiste, involontairement, par sa seule beauté. A t’elle seulement compris ce que nous avons ressenti? A priori les nuages, les cailloux, le végétal ne pensent pas. Les vautours et les chèvres sont plus malins et doivent penser pour se déplacer, se protéger, se nourrir et se reproduire .

Devant ce spectacle grandiose, je me suis senti à la fois dedans (dans le grand tout) et dehors, car spectateur émerveillé et interrogatif.

Notre terre, déjà bien endommagée et en danger (les montagnes sont la vitrine éloquente du réchauffement climatique), est encore magnifique au point de parler à des humains modernes, avertis, et expérimentés. On nous dira que nous avons été sensibles, bon public, prompts à s’émerveiller. Mais Christian est un sportif qui a les pieds sur terre et du bon sens. Et partout dans le monde, des paysages magnifiques attirent des foules innombrables pour les admirer. De tout temps l’homme s’est émerveillé devant la beauté de sa planète.

Comment depuis le magma brulant du big bang (environ 14 milliards d’années) la lente évolution de l’univers nous a conduits jusqu’ici ?

Voici je que j’ai retiré de l’examen des dernières hypothèses scientifiques : avant le Big Bang, on a imaginé un vide quantique de particules intriquées apparaissant et disparaissant si vite que l’on ne peut les voir. Il a fallu d’abord un déséquilibre entre la matière et l’antimatière, en faveur de la matière, car sans cela, l’univers n’aurait pu se constituer et ne serait qu’énergie. En effet, quand une particule rencontre son antiparticule homologue, leurs masses se transforment entièrement en énergie et elles disparaissent. Ce processus d’annihilation, serait régi par « E = MC² ». Dès le Big Bang les particules quantiques commencent à se séparer, mais peuvent communiquer indépendamment de la distance. Un processus d’expansion gigantesque en un temps extrêmement court se serait produit aussitôt. De ce déséquilibre quantique et de l’expansion, naquît un magma initial chaotique (photons, protons neutrons) bien que relativement homogène, qui, en quelques millions d’années, va s’organiser en matière baryonique composée d’atomes d’hélium 4, d’hydrogène, de deutérium et de lithium. Ces atomes seront créés lors de la nucléosynthèse primordiale. De gigantesques masses de gaz vont alors se former d’où s’extirperont des étoiles formant des galaxies.

D’après Hubert Reeves, nous serions tous des « poussières » d’étoile. Le mot « poussière » ne me semble pas très bien approprié. En effet, si les planètes sont bien des émanations des soleils, ou se sont formés les premiers gros atomes, ces planètes ont emporté avec elles les propriétés fertiles de la matière astrale, qui leur ont permis d’entreprendre un processus de complexification, dont nous sommes la conséquence la plus aboutie connue à ce jour. Le mot « poussière » conviendrait mieux à une la matière noire, inerte, incapable de s’intégrer dans une matière organisée (par manque d’énergie et de réactivité). Les astres, les planètes sont la superstructure de l’Univers et nous en faisons partie, dans un mouvement général venant du Big Bang.

Le passage de la matière à la vie – Qu’est ce que la vie ?

Ainsi, dans un Univers encore mystérieux à nos yeux et dont certains composants demeurent énigmatiques (malgré de multiples approches théoriques explicatives), le système solaire et ses semblables ont une cohérence et obéissent à des lois intelligibles (gravitation, relativité etc..). La terre (apparue il y a environ 4,5 milliards d’années) a reçu les conditions favorables à l’apparition de la vie, il y a plus de 3 milliards d’années. Les éléments requis pour cela sont complexes et exceptionnels. L’océan chaud contenait des molécules en perpétuelles inter-actions, appelées « Luca » (Last universal common ancestor), qui auraient dominé, sa descendance, couvrant tous les royaumes du vivant. Les premières formes de vie sont apparues dans l’eau, puis se sont propagées partout. Il faudra attendre entre 130 000 et 200 000 ans avant J. C. pour voir arriver homo sapiens. Il a donc fallu quelque 3 milliards d’années d’évolution, de mutations adaptatives, et d’heureux hasards pour que nous émergions.

On n’a pas retrouvé de matière particulière propre au vivant, qui est donc constitué par des éléments déjà présents dans le tableau périodique de Mendeleïev. Le vivant n’est pas une question de substance particulière mais de complexité croissante de son organisation. Il se caractérise par les facultés de se reproduire et de transmettre son identité héréditaire, sa « marque de fabrique » qui va constituer son espèce. La vie, bien que difficile à définir, pourrait s’entendre comme le contraire de la mort. Vit ce qui n’est pas mort. Mais alors qu’est ce que la mort ? Les trous noirs dévorent les galaxies, les soleils, les planètes qui finissent pas « mourir », ou au moins par disparaître (car on ignore ce qui se passe après l’anneau du trou noir). Notre Univers lui même serait « né » et est appelé à « mourir » (et peut être à « renaître » ?).

C’est à partir de la quadrivalence du Carbone que des molécules plus complexes se sont formées, dont les protéines, l’A.R.N. et l’A.D.N., sans oublier les enzymes. On ne sait toujours pas comment toutes ces molécules ont pu spontanément et de façon innée, s’organiser en systèmes très complexes capables de traiter de tonnes d’informations. Un éclaircissement viendra peut-être de la biologie quantique associée aux nanoparticules et aux sciences de l’information. Jean Paul Baquiast à la fin de son billet sur Médiapart, émet une remarque pertinente : « l’implication des molécules dans l’apparition de la vie sont ‘elles un hasard de l’évolution, ne se produisant que très rarement, ou s’agit il au contraire d’une évolution incontournable des composants de la matière inerte, dès qu’ils atteignent un certain niveau de complexité ? ».  Dans le second cas il y aurait alors beaucoup de vie dans l’Univers, fruit d’une prédétermination peut-être « métaphysique », d’une force de croissance et de structuration (dont parle Hubert Reeves dans « La fureur de vivre »). Cependant, la genèse de la vie reste pour le moment un mystère…

Voir en bas de l’article la remarquable conférence donnée par le Pr François Jacob (prix Nobel) en 2002

La question des relations entre la matière et la pensée est ancienne.

Est ce que la matière est suffisante pour expliquer le monde et en rendre compte? Que faire de l’ Être, de ce que l’on ne perçoit pas avec nos sens? Ceci fut discuté par les Ioniens (Thalès), puis les Grecs dont Anaxagore, qui aurait parlé d’un esprit dirigeant la matière, et Parménide qui aurait énoncé « penser et être c’est la même chose ». Puis vint Platon (427-347 av. J.-C.), avec le flux des phénomènes changeants que nous percevons et le « ciel des idées ». Les idées planeraient dans le cosmos et viendraient habiter notre corps, qui, par conséquent, n’était pas très digne d’autres considérations, que celles de la beauté, de la plastique et de l’agilité du guerrier ou du sportif. En contrepartie, Il y eut le matérialisme d’Épicure (341-270 av. J.-C.) qui parla aussi de l’émerveillement venant de la profondeur du corps. La dissociation de la pensée et de la matière fut pérennisée par le christianisme, qui mit à mal la nudité et la sexualité, au profit de l’âme (qui monte au ciel après la mort). Descartes persistait à dissocier le corps et l’esprit, même s’il admettait de larges interactions entre eux. Diderot à force d’expériences intégrant les propriétés de la matière dont le magnétisme et l’électricité, va finir par disconvenir de la notion d’âme et mettra l’accent sur une matière complexe susceptible de créer la pensée. Ainsi Marx affirmera que l’esprit vient de la matière. Bachelard parlera de « matérialisme instruit » ou philosophique, la complexité de la matière nécessitant, pour être appréhendée, un nouvel esprit scientifique, plus ouvert et non dichotomique entre la matière et l’esprit. Il se refusera cependant à une pensée métaphysique. Enfin dans les années 1970 le principe « anthropique » remet au devant de la scène une conception divine de l’Univers au motif qu’à travers certains de ses éléments constitutifs et certaines de ses lois, tout était prévu pour que l’homme arrive, et que donc, l’Univers aurait été créé par Dieu, pour l’homme.

Les scientifiques sont encore incapables d’expliquer les relations entre la matière et l’esprit. On sait que les quantas étant appairés et intriqués peuvent communiquer à distance, sont agités, non repérables, imprévisibles tant qu’ils ne sont pas observés (comme s’ils avaient déjà une conscience « d’autrui » et qu’ils changent leurs propriétés agitées en vue de se structurer avec lui…?). L’univers a ses lois, ses principes, ses règles et ses aléas, ses hasards. On peut dire que le hasard est nécessaire à l’évolution. Sans hasard, pas de nouveauté, pas de changements, pas de diversité. Malgré les trous noirs, les explosions, les télescopages, le réel n’est pas chaotique, bien que Giordano Bruno ait eu la prémonition d’un chaos pourvu de désir et absorbant la matière. Il surmonta cet aspect des choses par sa théorie du « tout dans tout », au centre de laquelle se trouve la monade, plus petite particule indivisible, dont nous sommes porteurs et qui nous relie à l’univers infini (voire « aux » univers).

Les mécanismes de la pensée sont complexes, le conscient n’étant qu’une petite partie par rapport au subconscient qui crée nos rêves, nos pulsions, nos intuitions, nos goûts, nos croyances. De plus, le corps et l’esprit sont en échanges permanents. Le cerveau stimule et coordonne le corps, qui lui renvoie les informations des sens, des douleurs, des faiblesses, des dérangements de toutes sortes ainsi que des plaisirs, qui retentissent sur la pensée.

Vue panoramique à plus de 180°, depuis le Pic de l’Arbizon, depuis l’Ariège à gauche jusqu’au pic du Midi de Bigorre à droite

Ainsi, en ce début Juillet 2022, la nature nous a offert un spectacle émouvant devant lequel nous nous sommes sentis en prise avec elle, en immédiate proximité. Nous étions conscients, aptes à raisonner, mais aussi émus et touchés. Cet instant rare nous à conduits au questionnement, à l’incertitude et à la contemplation. Probablement que d’autres seraient restés indifférents, impassibles. J’aurai tendance à penser que la capacité à apprécier, à admirer et à s’émouvoir est une disposition qui caractérise l’être humain, et que la communication peut aussi passer par un 6° sens instinctif, ondulatoire, cosmique, quantique.

De l’émotion primaire vers la réflexion « métaphysique »

La notion de métaphysique, ou en es-t’on ?

D’après le Larousse il s’agirait de la science de l’être en tant qu’être, de la recherche et de l’étude des premiers principes et des causes, de la connaissance rationnelle des réalités transcendantes et des choses en elles-mêmes. Mais aussi de la conception propre à un philosophe, comme la métaphysique de Descartes. Ce serait aussi l’ensemble des connaissances tirées de la raison seule, indépendamment de l’expérience (chez Kant), ou encore l’interrogation sur la conduite humaine en général (dans l’existentialisme), ou enfin des spéculations intellectuelles sur des choses abstraites qui n’aboutissent pas à une solution des problèmes réels. Pour « Ortolang » (C. N. R. T. L.) il s’agit de la partie fondamentale de la réflexion philosophique qui porte sur la recherche des causes et des principes premiers. Suivent plusieurs autres définitions, variables selon leurs auteurs, dont des considérations négatives arguant qu’elle ne servirait à rien, une quasi perte de temps, un excès d’abstraction.

Étymologiquement : Méta du grec μετά « au delà, après« . Selon l’académie française « une idée de succession ou de changement, une idée de poursuite en vue de« ; « qui apparaît au niveau supérieur » – Physique « qui se rapporte à la nature« .

On peut dire aussi que la science s’attache à trouver le « comment » et que la métaphysique à dire le « pourquoi ».

Il est donc bien difficile de définir clairement ce qu’est la métaphysique. Quand un seul penseur fait de la métaphysique il est d’accord avec lui-même, les choses se compliquent dès qu’ils sont plusieurs. D’autant plus que les preuves manquent, que la chose en friable et que la vérité n’est pas invitée au débat. Nous sommes dans les interrogations, les hypothèses, les raisonnements, les affirmations, les croyances.

Einstein (« Dieu ne joue pas aux dès »), Bohr (la physique quantique), Marc Halevy (dépasser les paradigmes des physiques traditionnelles et quantiques et revenir vers de la spiritualité), l’impact des nouvelles sondes comme James Webb qui voient l’invisible, ne détruisent pas l’hypothèse du Divin, ou au moins d’une force initiale surpuissante, portant en elle un dessin inné de structuration d’expansion, d’organisation et de développement, laissant au hasard les cartes du jeu de l’évolution.

La métaphysique fait ‘elle donc encore recette en 2022 ? Difficile à dire. Si la science intéresse de plus en plus les gens, la métaphysique est moins médiatisée, plus difficile à aborder, plus intime. A chacun sa métaphysique, son explication du monde, son sens de la vie, sa relation avec la mort et l’au delà. Il y a la foi, l’intime conviction, les religions, les dogmes. Il y a aussi le problème central de l’être, de sa définition, de sa connaissance.

La métaphysique doit ‘elle être abordée par le rationalisme, la philosophie, les concepts ? Doit ‘elle être compliquée, abstraite ? A t’elle une justification ? Est ‘elle utile ? Peut-on cependant éliminer toute réflexion transcendantale et se limiter au factuel, à l’immédiat, au matérialisme ?

Les découvertes scientifiques récentes (mécanique et vide quantiques, expansion de l’univers, relativité du temps et de l’espace, possibilité de vitesses supérieures à celle de la lumière, relations microparticules-masse-énergie, redéfinition du vide absolu etc…), laissent la porte ouverte à des réflexions plus hardies que les scientifiques hésitent à aborder. Quoi avant le big bang ? Peut on remonter le temps et être à plusieurs endroits à la fois ? Que voyons nous de la réalité ? La présence de la terre, de sa beauté, de la vie, de l’être humain, de la conscience de soi, le sens ancien du divin et du métaphysique n’ont ‘ils aucune signification ?

Les mystères auxquels nous sommes confrontés sont ‘ils uniquement le résultat de nos ignorances ou l’intuition constitutive d’un ailleurs à la fois extrinsèque et intrinsèque ?

Je ne saurai répondre à tout cela. Comme dirai Jean Cigu « les questions sont plus importantes que les réponses ».

LOntologie s’intéresse surtout à l’être, à l’humain, qui est le seul étant ayant la conscience et la compréhension de soi-même. Elle peut consister en la recherche du sens de l’être, considéré à la fois en tant qu’être général, abstrait, essentiel et qu’en tant qu’être singulier, concret et existentiel. Cette approche est plus modeste que la métaphysique du « grand tout », de la création et du cosmos. L’homme à besoin de savoir ce qu’il fait sur terre, quel est le sens de sa vie, quel futur est ‘il capable d’imaginer et de maîtriser.

Épicure était un matérialiste et ne croyait pas à un esprit désincarné de la matière.

Pour lui, tout est matière et si les Dieux existent, il ne s’en préoccupe pas. L’âme meurt avec nous. La mort n’est pas un problème, car elle n’est pas source d’émotions, de douleurs de contrariété, et nous protège de l’utopie de l’immortalité. Le but de la vie est le bonheur, que la philosophie nous aide à rechercher. La sagesse nous éloigne de la recherche de plaisirs inutiles tels que la puissance, la domination. Nous faisons partie du Tout que nous devons nous attacher à connaître ainsi que nous mêmes. Il donne une importance au bien être corporel et à une ascèse des désirs, plaidant le prendre soins de soi et la sobriété. Il recherche la détente, qui permet de vivre l’émerveillement, pur plaisir d’exister venant du plus profond de soi. Il n’y a donc pas de métaphysique chez Épicure, même s’il connaissait les atomes. Sa philosophie simple est une thérapie de l’âme. Il a été récemment revisité par des historiens des scientifiques et des philosophes, notamment sur la question de savoir si la matière est capable de générer une pensée.

L’importance du plaisir

Il y a peu de temps, l’importance du plaisir a été mise en exergue dans les processus vitaux et de développement des espèces vivantes. Le plaisir favorise le bien être et l’envie de vivre. Chez l’être humain presque tout peut être source de plaisir : donner la vie, être libre, donner, recevoir, partager, communiquer, regarder, entendre, lire, écrire, jouer, faire du sport, des efforts, se surpasser, chanter, jouer de la musique, peindre, travailler, créer, se passionner, découvrir, connaître, admirer, réfléchir, imaginer, discuter, voyager, être entouré et aimé, prendre soin de soi et des autres, etc… La sagesse et le plaisir ne sont pas incompatibles. La modération et la sobriété peuvent être des aussi sources de plaisir. Les plaisirs de la chair, de la bonne table, de la possession, du pouvoir, de la richesse, de l’ostentation, de la paresse sont probablement secondaires. La domination, le paraître, la jouissance, l’avoir ne semblent que peu contributifs au développement du soi, et relèvent plus de la satisfaction de l’égo ou du moi. Le plaisir est moteur et bienfaisant surtout s’il est partagé et respectueux d’autrui. Du plaisir à l’addiction il n’y a qu’un pas.

L’apologie du seul plaisir n’est pas recevable sans son garde fou « la sagesse ». Épicure l’a bien compris quand il recommande l’ascétisme et la sobriété.

Quel lien possible entre la haute montagne et la métaphysique ?

La haute montagne mène à tout: au dépassement de soi, à la pureté, au plaisir et même à l’approche de la métaphysique… Sa simplicité minérale, son silence, sa hauteur, sa majesté, sa beauté contrastent avec notre monde moderne. C’est aussi un moyen de se confronter, de s’élever, se ressourcer, de réfléchir et aussi de se retrouver… Se rapprocher d’elle, c’est faire un pas vers la recherche de notre Vérité, de façon intuitive, honnête et sincère. Cette confrontation personnelle et épurée avec le risque et la difficulté crée des liens à la fois tragiques (combien de morts chez les Alpinistes), stimulants (que de passionnés), et apaisants (rapport au monde « cristallin » et connaissance de soi). L’esprit n’est plus pollué, la voie est ouverte vers la transcendance et la découverte de l’être.

L’histoire ancienne des hommes et de la montagne regorge de liaisons mythologiques (les Dieux de l’Olympe, le mont du Wahalla, le mont des Héros etc..), de substances immortalisantes, de forces surnaturelles, de centralité spirituelle, mais aussi de fascination, de peur. D’après Julius Evola « il est possible que les anciens, qui ignoraient l’alpinisme, et aux yeux desquels la montagne se présentait comme inaccessible et inviolable, furent portés à lui conférer un caractère symbolique en rapport avec une spiritualité transcendante« .

Les grands Alpinistes philosophes et écrivains

Ils sont très nombreux : Roger Frison Roche, Maurice Herzog, Gilles Modica, Walter Bonatti, Gaston Rébuffat, Pierre Mazeaud, Anne Laure Bloch, Jean Luc Marion, Erhard Loretan, pour ne citer qu’eux…

J’ai sélectionné quelques autres d’entre eux que je détaille un peu ci-dessous.

Lionel Terray (1921-1965), conquérant de l’inutile, rebelle, épris de liberté, fossoyeur de l’Alpinisme d’élite, académique et quasi « militaire », fut le premier d’une nouvelle époque d’hédonisme, de marginalité et de rejet du système. L’Alpinisme fut sa passion qu’il vivra intensément, fusionnant littérature et montagne.

Reinhold Messner est probablement le plus célèbre pour ses exploits. Il est l’auteur de nombreux récits de ses ascensions, mais sans contenu vraiment philosophique.

Julius Evola (1898-1974), alpiniste Italien et métaphysicien, livre ses méditations sur le symbolisme de la montagne, plutôt considérée comme un lieu réservé aux héros et aux initiés, mais aussi comme une des rares voies offerte à l’homme moderne pour une réalisation spirituelle authentique et intégrale. La vidéo ci dessous vous en dira plus.

Pierre-Henri Frangne est un philosophe – alpiniste, qui vit l’Alpinisme comme une expérience, avec une approche phénoménologique. Pour lui « l’Alpinisme a, profondément, à voir avec l’enfance, avec cet effroi et cet émerveillement de
l’enfant qui sait qu’il doit pénétrer dans un monde infiniment plus grand et plus puissant que soi, et que l’inhospitalier est toujours là au cœur de ce qui l’accueille ». Pour Frangne, l’Alpinisme est «une vision et une activité totalement inutiles, gratuites, où l’adversité est recherchée pour elle-même… ». C’est aussi une école de la vie qui mène au décentrement, dans un milieu hostile, qu’il convient de vaincre, de surpasser pour arriver au « sublime » du sommet, « trophée gagné sur l’immense difficulté de l’approche, l’épuisement et le danger ». Il rassemble toute l’expérience de la montagne et toute la symbolique de la vie humaine. Au-delà de sa petitesse et de sa fragilité, l’homme dépasse alors « la grandeur matérielle du sommet par la véritable grandeur, qui est celle de la conscience et de la pensée ».

Arne Næss (1912 – 2009), le philosophe-alpiniste-psychanalyste-Bouddhiste Norvégien a ressenti dés son enfance l’appel de la montagne, mais il n’a pas vraiment abordé la relation entre montagne et métaphysique. Il a surtout inventé «l’écologie profonde» (ou écosophie T), en opposition à « l’écologie superficielle » qui ne propose pas de changements de nos modes de vie et croit en la toute puissance de la technologie pour s’opposer au dérèglement climatique. Méditatif et montagnard il est axé sur la recherche du soi et du sens de la vie.

Alain Ghersen, guide de haute montagne et philosophe a abordé dans « Risque et alpinisme » une réflexion philosophique sur l’Homo alpinus. « La liberté est la condition de possibilité d’une prise de risque, laquelle nous donne en retour la sensation d’avoir éprouvé cette liberté { ]. En flirtant avec la mort l’alpiniste est-il suicidaire ? Grimpe-t-il pour exorciser la peur de sa propre mort ? Pour vivre intensément, quitte à ne pas vivre vieux ? Ou est-ce au contraire une volonté de maîtrise de la nature et de son propre corps, et finalement de sa vie ? » – « S’immerger délibérément dans un univers dangereux serait une façon qui, contre toute attente, permettrait de reprendre la main sur son destin, de provoquer une certaine réappropriation de soi. » Il note aussi que cette pratique, en opérant un break avec le lien social asservissant, peut provoquer une sensation de liberté grisante et de puissance (soulignée par Nietszche, bien sûr).

Pour conclure :

J’ai la chance de pouvoir être encore actif, en bonne santé, d’escalader des sommets et d’écrire des articles. Je ne suis pas vraiment un Épicurien, mais pour moi sa philosophie est à considérer. Sagesse, sobriété, modestie et incertitude me conviennent. Je ne suis pas un croyant convaincu. Je cherche ma Vérité (« aller au bout de soi-même « ) et l’expérience de la montagne y contribue. La confrontation au risque, à l’effort, à la beauté, et à la grandeur, est source de réflexion et d’apaisement et crée une dynamique personnelle vers la métaphysique. Devant les grands sommets on se sent petit, on peut avoir peur, mais en montant on se rassure et au sommet c’est la joie, la plénitude, l’admiration, le sublime et la communion avec la majesté des lieux.

La plupart des gens qui vont en montagne se contentent de prendre du plaisir, d’admirer. Certains font des performances, des courses, des exploits ou recherchent la notoriété. Un tout petit nombre peut avoir une approche très personnelle vers la maitrise de soi, la recherche d’un au delà, d’une Vérité, d’un sens vers la transcendance et l’essentiel de la nature. Cette quête reste secrète, intime et personnelle, parfois inconsciente. Tout se passe comme si en nous, une force insurmontable nous poussait vers cette conquête de l’inutile, mais aussi du vrai et du sublime.

L’univers est né avec l’énergie et une matière constitutionnellement dotée de dispositions à se structurer et s’organiser. Nous sommes porteurs de cette « énergie » primaire, qui pousse certains d’entre nous vers cette essence éternelle, en remontant à la source, bouclant ainsi le cycle de l’évolution et de la vie. La montagne serait donc un des vecteurs favorisants importants dans ce mouvement, en élevant l’homme vers le cosmos et en lui permettant aussi de mieux se connaître, de reconsidérer son rapport à la vie et à son « être ». Cependant, il ne faut pas chercher ici de rationalité, de science, d’explications ou de causalité. Ce transport est du ressenti et du vécu. Il n’en est pas moins aussi important à mes yeux que la démarche conceptuelle et philosophique. Les Alpinistes ont du mal à conceptualiser ce qu’ils ressentent. C’est quasi inexplicable.

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Mes sources : Dictionnaire Larousse, Ortolang, Vidéos d’Étienne Klein

Conférence donnée en 2000 par le Pr François Jacob (généticien et prix Nobel de Médecine en 1965) sur « Qu’est ce que la vie ? (Durée > 1h.)

Voici les images de l’espace envoyées par la NASA le 12.07.2022 prises par le nouveau satellite géant James WEBB (trouvées sur le blog de Pierre Brisson – Merci à lui – Allez sur sa page pour avoir plus de précisions)

NOTRE PLANÈTE CI DESSOUS – Noter que l’univers et la Terre sont très beaux…

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