VÉRITÉ ILLUSION BEAUTÉ DANS LES 3000 DU LUCHONNAIS

Ascension du CAP du SEIL de la BAQUE le 22.08.2021 – Temps de lecture 10′

Par Laurent Vivès

A gauche pics d’Arlaud et Gourgs-Blancs, à droite le Gourdon

Les Pyrénées sont nées de la fusion du bloc Ibérique et Européen, il y a environ 70 000 000 d’années, par phases successives. Avant, la zone était sous marine ce qui explique la présence de dents de requins dans des grottes Ariégeoises. Elles ont une grande richesse géologique (vallées, pics, massifs) et minéralogique. Les monts et les vallées se succèdent d’Est en Ouest avec une grande variété des paysages. Sur les hauteurs les granits, calcaires et schistes dominent, alors que les sédiments crétacés et volcaniques sont plus bas. Cependant, de nombreux glissements ont provoqué la formation de plaques sédimentaires qui sont venues s’intriquer dans les roches plus dures comme au Mont Perdu. Les plus hauts sommets sont dans la zone axiale (Pyrénées centrales). Le Luchonnais en contient un grand nombre.

Les « 3000 » du Luchonnais autour du lac du Portillon sont un grand classique des Pyrénées, très prisés des randonneurs, alpinistes et des escaladeurs. A plus de 3000 mètres, les pics de Perdiguère (3222 m), Gourgs-Blancs (3129 m), Royo (3121 m), Maupas (3109 m), Crabioules (3107 m), Lézat (3107 m), Seil de la Baque (3103), Spigeoles (3065 m), Quayrat (3060), Portillon (3050), Gourdon (3034) et Boum (3006), ont surplombé des glaciers datant de 15 000 ans, qui ont récemment disparu, laissant apparaître un minéral d’une richesse et d’une beauté insoupçonnées.

Vue depuis le Perdiguère en 06.2016 : il n’y avait déjà pratiquement plus de glacier

Dans mon enfance à Cierp nous étions habitués à voir les « neiges éternelles » au dessus de Luchon, qui étaient en fait des glaciers dont le Maupas, le Crabioule et le Boom étaient les plus visibles de loin. Celui de la Maladeta, le plus grand, était caché par les pics du Luchonnais. Depuis le Port de Vénasque en plein été ont pouvait l’admirer il y a encore une dizaine d’années. Maintenant il ne reste plus que de rares névés sous le pic d’Aneto.

On savait que les Pyrénées sont connues pour la grande variété de leurs ressources minières qui ont été longtemps exploitées tout le long de la chaîne. Cette activité était déjà présente avant les Romains, elle s’est poursuivie jusqu’au 20° siècle avec des sites assez importants dans les Pyrénées Occidentales et Ariégeoises. Certains ont employé plusieurs centaines de mineurs qui travaillaient dans de rudes conditions. On trouvait de l’or, du plomb, du zinc, du cuivre argenté, du fer, des phosphates, du talc, du Tungstène…. Maintenant la plupart de ces mines sont fermées. Les randonneurs retrouvent des stigmates abandonnés de ces activités. Certaines sont visitables. Il y a des musées de la mine. A Luzenac le talc est toujours exploité et un projet d’ouverture d’une mine de Tungstène est controversé dans le haut Ariège.

Mes deux derniers grands sommets ont été la Munia (3133 m) au dessus du cirque de Troumouse et la Pique d’Estats (3143m) en Ariège. Ma dernière excursion dans le Luchonnais date de 2017 pour le grand Quayrat (3060m) que nous avions gravi à partir du refuge d’Espingo.

J’ai toujours été fasciné par le pic des Gourgs-Blancs (3129 m), associé au pic Jean Arlaud, sur la frontière espagnole, au dessus du glacier qui portait son nom. Tant que le glacier était la on pouvait y monter par la face Nord à partir du refuge du Portillon. Maintenant les ascensions se font par Loudenvielle et le port de Gias. Je connais beaucoup de monde qui sont montés au Gourgs-Blancs il y a plusieurs années, mais j’ai raté le coche et je n’y suis jamais allé. C’est un très beau sommet, devenu un peu mythique après la chute mortelle de Jean Arlaud.

06.2022 Gourgs-Blancs – Gourdon – Spigeoles

Donc, Samedi dernier nous sommes partis, malgré la foule, pour le refuge du Portillon (bondé), et Dimanche matin nous atteignions la Tusse de Montarqué à 8H 30. Une matinée splendide, une aube lumineuse venant magnifier les sommets qui nous entouraient (Spigeoles, Gourdon et Gourgs-Blancs à droite, Seil de la Baque en face de nous un peu plus loin). Après une pause photos devant les Gourgs-Blancs et le lac, nous sommes montés au Cap du Seil de la Baque (3090 m) que nous avons atteint vers 10h30 après avoir escaladé les 100 derniers mètres.

Pendant la montée j’ai fait de photos, subjugué par la beauté du cadre, la variété des couleurs, la présence de coulées blanches calcaires immaculées au sein du granit, suivies de schistes ferreux marron rouges, de quelques plaques de marbre, de pierres noires perdues au milieu d’énormes blocs blancs laiteux ou brillants. Nous étions seuls au sommet, avec une vue sur les Posets espagnols, le Perdiguère, le Crabioule, le Lézat, le Quayrat à droite et l’enfilement Gourgs-Blancs – Gourdon – Spigeoles à gauche. Plein sud, la Tusse de Montarqué et en bas à droite le lac du Portillon sous le Lezat.

Tusse de Montarqué

La descente fut un festival pour les yeux. Nous étions quasiment seuls, sans stress, pas pressés, il n’y avait qu’à avancer, découvrir et admirer. Nous n’avons échangé quelques mots que pour discuter du chemin. J’étais en moi, heureux, étonné, admiratif, en harmonie avec ce lieu grandiose, sa majesté, sa pureté, sa beauté, son silence, contrastant avec l’agitation du « bas ».

La montagne procure parfois des moments sublimes, ou l’effort, l’admiration, la symbiose, l’émotion se mélangent, troublent, parfois bouleversent. Cette symphonie de couleurs de lumières, ces contrastes entre les versants, la variété des strates géologiques, des falaises aux stries horizontales (comme à Gavarni), les Gourgs-Blancs quasi lisses granitiques qui passent du blanc au presque noir en quelques minutes, le Gourdon marron et les sommets plus lointains grisâtres, tout cela m’a fait oublier le désastre climatique et la mort de glaciers. J’en avais un peu honte, mais la montagne nous a joué un tour en nous offrant cette beauté inattendue.

Beauté, illusion et vérité : moi j’ai trouvé ça beau. D’autres diront ce ne sont que des cailloux, de la matière inerte, stupide. Le beau reste subjectif, il faut être réceptif, sensible, apte à apprécier et à s’émouvoir. La lumière a joué un grand rôle : luminosité de l’aube, puis quelques nuages venant jouer avec le soleil et changer la couleur du décor, comme un illusionniste. Beauté éphémère, fragile, illusoire, changeante en quelques instants. Rien à voir avec un tableau dans un musée, une sculpture dans un jardin, un poème que l’on lit dans un fauteuil. Ici le spectateur est acteur, il se déplace, peut s’arrêter, être préoccupé par un passage difficile à négocier, le détournant de la contemplation. Il est dans le décor, le renifle, ressent le vent, la fraîcheur ou transpire sous l’effort et la chaleur. Les jambes commencent à faire mal, la faim creuse l’estomac, il faut boire…. Les sensations sont multiples, interfèrent : agents perturbants ou au contraire amplificateurs.

Comment trouver une vérité dans tout cela ? Car la Vérité c’est le résultat d’une réalité en soi (le réel), et d’un observateur qui décrit, ressent, et va proclamer que cette chose (ou cet évènement) est vrai, véritable, probable, plausible, possible ou au contraire improbable ou faux. Mais il y a aussi la vérité de soi, en soi, que nous sommes seuls à ressentir. On ressent, mais on ne peut pas prouver et un autre n’éprouvera pas la même sensation. Il aura un autre jugement, une autre vérité.

La montagne est une épreuve de vérité. On ne peut pas tricher avec elle, c’est une école de modestie, d’humilité.

En arrivant vers le lac du Portillon, j’ai perdu ma route, pas de cairns. Je me suis engagé dans un précipice pentu et dangereux. J’y suis resté, car j’avais aperçu un chemin et une conduite d’eau 300 mètres plus bas. Je savais qu’en bas je retrouverai ma route et des conditions plus favorables. Mais la pente était rude, le terrain difficile avec des strates de schistes friables en décomposition, du sable glissant, du végétal mal accroché. Plus question d’admirer, d’aimer. Seul face au danger, il a fallu se concentrer, puiser dans ses ressources, garder le calme, faire appel à toute son expérience montagnarde. Finalement j’y suis arrivé et j’ai retrouvé mes amis sur le chemin (ils s’inquiétaient déjà). Cette anicroche de ma part a un peu jeté une ombre sur cette belle journée. Comme quoi, bonheur, extase esthétique et émotionnelle ont la vie courte en montagne.

La Vérité « en général », on peut la trouver partout, dans le quotidien, la banalité apparente des choses, notre capacité d’acceptation du vrai, ou notre prédisposition à la rechercher. On peut aussi la ressentir, la percevoir, la débusquer. Elle se mérite, c’est une attention, voire une tension permanente.

Aujourd’hui elle devient un parent pauvre de la vie. On n’a plus l’exigence du vrai, de la sincérité de la véridicité. On a une opinion sur quelque chose, on ne va pas s’embarrasser. Si on le croit, c’est que c’est vrai. Il n’y a plus de vigilance devant les affirmations abruptes. Les réseaux sociaux amplifient cela. Les médias ce sont pas clairs sur cette question (il faut faire de l’audience). Des auteurs ou « experts » comme Eric Zemour font recette, sans amener aucune preuve de leurs assertions. Beaucoup de gens les croient. Ils surfent sur le ressentiment. « Plus c’est gros, plus ça passe ».

L’émotion, la première impression sont souvent trompeuses. On a une sensation du vrai, on s’enflamme, on y croît.

Dans mon anecdote sus citée, la Vérité de ce dimanche c’était « la vie est belle, le décor est magnifique, c’est une ode à la beauté malgré une certaine illusion subjective ». Mais elle fut de courte durée et dans mon précipice je suis passé à autre chose « ne te réjouis pas trop vite et restes vigilant, le pire peut survenir à tout moment ».

Oui Beauté et Vérité peuvent être liées, et parfois implémentées par l’Illusion.

L’ontophanie du paysage (majorée par la lumière et les couleurs), a induit en moi une qualité particulière de se sentir au monde, un transport émotionnel. Mais il faut rester attentif et prudent. Les choses Vraies peuvent aussi se sentir, se deviner, mais alors gardons nous de la certitude, car tout peut aller très vite en sens inverse.

La Vérité est souvent éphémère et doit être vérifiée en permanence.

LE LAC DU PORTILLON. QUEYRAT, LEZAT et CRABIOULE AU FOND
Par Laurent Vivès. La montagne sublimée, magnifique, transformée par la perte des glacier. Un festival de couleurs. Puis un chemin qui se perd, le danger qui survient...
LES POSETS
En haut à droite depuis le Lézat en 2012

Bernadette Guiard

Voici en écho à ton texte sur les Pyrénées les mots qui me sont venus après notre petite ascension vers le col de Pierrefitte :

Dans les villages de montagne
Cascadent les torrents
Leur chant joyeux accompagne
Les marcheurs dans les sentiers caillouteux
Longeant les verts pâturages et les troupeaux
Le regard porte haut.
La beauté se déploie au-delà des sapins ,
Des bouleaux vers les sommets escarpés.
Elle ensoleille le sang, accroît le désir
Palpitant de s' élever vers les refuges
D' altitude dans le silence et la solitude ,
Loin des mensonges , des coups ,
Des dégoûts à visage inhumain.
Marche dédiée à l' unité de l' être
Epŕis d' absolu !

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